Nous avons eu la chance d’assister dernièrement au Forum stratégique sur l’intelligence artificielle organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Bien que très intéressantes, les différentes interventions sont restées à un niveau plutôt élevé. C’était tout de même un bon moyen pour les chefs d'entreprise de se familiariser avec le domaine et comprendre le phénomène.
À la suite de notre article sur la situation du Big Data au Canada, nous avons jugé pertinent de faire également le point sur la situation de l’intelligence artificielle.
Vous avez probablement entendu parler des investissements en intelligence artificielle faits récemment au Canada. Au pays, autant le gouvernement fédéral que les Microsoft, Google et Facebook de ce monde investissent massivement dans la recherche.[1]
La raison est qu’on a la chance d’avoir au moins trois universités qui se sont démarquées grâce à leurs centres de recherche spécialisés dans l’intelligence machine : l’Université de Montréal avec le MILA, le Vector Institute, qui n’est pas un centre de recherche universitaire, mais qui tire sa source de l’Université de Toronto, et le laboratoire de recherche Amii, de l’Université de l’Alberta. Beaucoup de savoir dans le domaine de l’apprentissage machine est ainsi généré d’un océan à l’autre. Or, cette expertise ne date pas d’hier. Le premier programme canadien de financement de la recherche en intelligence artificielle remonte à 1983 ; ça fait longtemps qu’on fait de la recherche sur le sujet au Canada !
On parle beaucoup dans les médias de ces pôles d’expertise et du financement international qu’ils reçoivent. Bien que cette expertise nationale soit une excellente nouvelle pour le pays en termes de reconnaissance académique mondiale, qu’est-ce que cela signifie réellement pour les entreprises canadiennes ?
Pour l’entreprise moyenne, l’intelligence artificielle est une technologie parmi tant d’autres qui peut lui permettre d’améliorer ses processus d’affaires et, ultimement, d’engendrer une hausse de ses revenus ou une diminution de ses charges. Il n’y a pas d’autre issue qui devrait intéresser les entreprises (c’est-à-dire qu’on ne met pas en place des solutions technologiques s’il n’y a pas un retour économique positif).
Il y a un peu partout au Canada des centres de recherche universitaires, des chaires et des laboratoires qui se spécialisent dans des disciplines du grand monde du Big Data.
Certains sont spécialisés en science de la donnée (data science), en intelligence artificielle, en apprentissage machine (machine learning) et en apprentissage profond (deep learning). Ils conjuguent souvent le travail des départements d’ingénierie informatique, mathématique, statistique, de recherche opérationnelle et même de gestion. D’autres, plus nichés, se penchent sur la bio-informatique et sur la santé, mais toujours en ayant en arrière-plan une pratique autour de cette intelligence machine.
Plusieurs grandes universités ont leur centre de recherche, mais quelques-unes ressortent du lot, dont les trois mentionnées précédemment. Ça ne veut pas dire qu’il ne se passe rien dans les autres provinces, mais par souci de concision, présentons-en quelques-unes seulement.
Beaucoup de ces laboratoires ont reçu d’importantes subventions autant des différents paliers gouvernementaux que des entreprises privées. En 2016, l’IVADO a reçu un financement de 93,6 millions de dollars par le biais du Fonds d’excellence en recherche Apogée du Canada. Le MILA, qui travaille conjointement avec l'IVADO, a reçu depuis 2016 4,5 millions de dollars de Google, 7 millions de Microsoft et 7 millions de Facebook. Le Vector Institute, qui est associé à l’Université de Toronto, mais qui n’est pas un laboratoire universitaire, a reçu 50 millions de dollars d’Ottawa en 2017, 50 millions du gouvernement de l’Ontario et une impressionnante somme de 80 millions de dollars d’une trentaine d'entreprises privées, dont Google, et de grandes banques canadiennes.
Ces centres de recherche ne font pas que de la recherche fondamentale (améliorer un algorithme très précis de reconnaissance d’image, par exemple). Ils font aussi de la recherche appliquée afin de mettre en pratique ces algorithmes dans un contexte plus global.
Si on se réfère au même exemple, il est fort pertinent d’améliorer un algorithme de reconnaissance, mais ce qui est encore plus pertinent, c’est de l’appliquer à une problématique réelle. La voiture autonome par exemple, n’est pas le fruit d’un algorithme de conduite automatique. Elle fonction grâce à des techniques de reconnaissance d’image qui « voient » ce qui se passe sur la route et qui, conjointement avec d’autres algorithmes et technologies, peuvent conduire une voiture de façon autonome.
C’est exactement ce que tentent de faire les entreprises privées avec la création de laboratoires de recherche. D’ailleurs, dans la dernière année, plusieurs se sont installées à Montréal. Pensons notamment à Google (Google Brain), Facebook, Microsoft par l’acquisition de la jeune entreprise Maluuba, au constructeur coréen Samsung, au groupe français Thales et à la banque canadienne RBC. La plupart travaillent en collaboration avec le MILA, ou du moins veulent profiter de l’effervescence de l’activité IA au Canada. En d’autres mots, ces entreprises créent des pôles de recherche et de développement axés sur l’intelligence artificielle, là où il y a un bassin important de gens compétents, afin que leurs produits et services puissent en profiter.
En fin de compte, il s'agit d'une bonne nouvelle pour les entreprises, car les avancées ne touchent pas seulement l’algorithmique. Elles sont également concrètes et applicables à des processus dans leurs contextes d’affaires.
Il n’y a pas que des laboratoires de recherche, il y a également de nombreuses entreprises en démarrage (startup) aux quatre coins du Canada. En effectuant mes recherches sur les jeunes entreprises qui utilisent l’intelligence artificielle comme moteur de développement de leurs produits et services, je suis tombé sur le blogue de Jean-François Gagné, un des fondateurs de Element AI, qui a fait un excellent travail pour répertorier ce qui se passe au Canada.
Source : http://www.jfgagne.ai/s/Canadian-AI-ecosystem.pdf
C'est beaucoup de monde, n'est-ce pas? Pour simplifier les choses, nous pourrions regrouper ces entreprises dans deux catégories : celles qui offrent un produit intégrant une forme d’intelligence artificielle et celles qui font de la consultation et du sur-mesure.
La catégorie des produits comporte par exemple des entreprises comme Hopper qui utilise des données massives et des algorithmes d’apprentissage automatique pour prédire le prix des vols d’avion afin de les rendre disponibles sur des applications mobiles. Même si ce produit vise principalement les consommateurs, il s'agit du type de produit qui pourrait être utilisé par une entreprise dans le cadre de son processus d’achat de billets d’avion (et en plus, c’est gratuit!).
Au Canada, mais aussi ailleurs, les jeunes entreprises ont réussi à créer des produits et des services basés sur les avancées en matière d'apprentissage automatique. C’est-à-dire que même si les algorithmes de reconnaissance d’image peuvent maintenant faire la différence entre la lettre « a » et la lettre « e », l’algorithme en tant que tel n’a pas d’utilité pour les entreprises. Il devient plutôt utile lorsqu’il est intégré à une application qui est en mesure de « lire » du texte manuscrit et de remplir automatiquement un document avec ce texte, par exemple. Le même principe s'applique aux algorithmes de traitement du langage naturel qui n’apportent de la valeur que lorsqu’ils sont emballés dans un produit comme Siri qui est capable d’interagir avec l’utilisateur ou comme un assistant virtuel (chatbot) qui comprend que le client d’une banque veuille changer de forfait, et le fait de façon autonome à la place du client ou d’un employé du service à la clientèle.
Dans la catégorie des « consultants », on retrouve des entreprises comme integrate.ai à Toronto et Element AI à Montréal, mentionnée précédemment. Cette dernière a aussi été cofondée par Yoshua Bengio, une sommité dans le domaine de l'apprentissage profond et directeur du centre de recherche MILA. Il est d'ailleurs souvent invité par les médias pour parler d’intelligence artificielle (il était notamment présent au Forum sur l’intelligence artificielle). Le rôle de ce type d'entreprise qui emploie généralement des chercheurs spécialisés est d’accompagner les entreprises en développement en intégrant des produits d’IA afin de répondre à de vrais besoins d’affaires. C'est ce que nous appelons l’AIaaS, ou AI-as-a-service. Comme nous le mentionnions plus tôt, inutile de mettre des choses en place s’il n’y a pas un taux de rentabilité intéressant. Par exemple, une banque pourrait très bien travailler avec eux pour intégrer dans les processus d’analyse et de prévention de fraude des algorithmes d’apprentissage automatique pour améliorer la détection des systèmes historiques.
Finalement, il ne faudrait pas oublier les incubateurs et les investisseurs en capital de risque qui favorisent également le démarrage d'entreprises axées sur l’IA. Bien sûr, ces dernières peuvent très bien être à l’extérieur du Canada.
Comme dans le cas du Big Data, ce sont pour l’instant les grandes entreprises qui investissent généralement dans l’intelligence artificielle. Parce qu’elles ont beaucoup de données historiques, des clients à satisfaire, et bien sûr, du budget! De nombreuses banques canadiennes fondent des pôles d’expertise en apprentissage automatique, en apprentissage profond et en intelligence artificielle, afin d'innover en interne et se démarquer de la concurrence; c’est la course.
La Banque TD est un bel exemple puisqu'elle compte intégrer un assistant virtuel bancaire à son application mobile.[1] Dernièrement, la banque a même fait l’acquisition d’une jeune entreprise spécialisée en intelligence artificielle qui a développé une plateforme permettant d’analyser diverses sources de données afin d’apprendre à connaître les besoins des clients et à les anticiper[2]. Il se pourrait fort bien que cette acquisition ait été faite en partie pour bloquer l’accès aux concurrents, ce qui est une pratique d’affaires tout à fait légitime, mais cela pourrait par contre ralentir l’adoption d’entreprises qui sont dans d’autres secteurs d’activité.
Après Toronto et Edmonton, un autre établissement bancaire, la RBC, implantera son laboratoire de recherche (Borealis AI) à Montréal, toujours en collaboration avec les universités de la métropole.[3] Le laboratoire, qui fait partie de l’Institut de recherche RBC, se rapproche davantage d’un centre de recherche universitaire que d’une jeune entreprise avec un modèle d’affaires précis. On se doute quand même que les percées seront éventuellement intégrées aux processus d’affaires de la banque parce qu’il s'agit d'un investissement après tout.
Nous parlons beaucoup des grandes entreprises, mais ce qui est intéressant, c’est qu’avec cet écosystème de nouvelles entreprises, rien n’empêche une PME d’intégrer un de ces produits dans ses processus d’affaires. L’exemple le plus simple est l’accès facile à ces fameux assistants virtuels. Une entreprise comme Do You Dream Up offre ce produit en mode SaaS, qu'il est possible d'intégrer à son site web ou à son application. Nul besoin d’experts en apprentissage automatique, tout se fait à distance par la jeune pousse.
De toute évidence, le Canada mise sur la qualité de sa recherche et de son enseignement, mais nous ne sommes pas les seuls au monde et si nous nous reposons sur nos lauriers, nous ne garderons pas cette position de leader. La recherche va certes se poursuivre au cours des années à venir, mais selon Yoshua Bengio, le Canada risque de ne pas pouvoir profiter de ses acquis s’il n’y a pas plus d’entreprises locales qui tirent parti des progrès réalisés[4]. Ce qui peut signifier que si les chercheurs des universités canadiennes et des centres de recherche ne développent pas une entreprise qui offre un produit ou un service directement issu des percées en intelligence artificielle, ces belles réalisations profiteront à une autre économie que la nôtre. Nous avons un produit à l’état brut qui se résume à un ensemble d’expertises, de savoir-faire et de percées de la science du traitement des données, mais cela ne s'achète pas vraiment. Ce que les entreprises achètent, c’est un produit fini, une application, une innovation qui stimulera les affaires.
Ce qu’il faudrait donc créer, ce sont des entreprises et des emplois pratiques dans le domaine de l’intelligence artificielle. Les recherches battent leur plein en ce moment et grâce à cet écosystème d’universités, de centres de recherche et d’incubateurs, nous devrions pouvoir tirer notre épingle du jeu. Ce qui est difficile pour l’instant, c'est que malgré tous ces millions investis à gauche et à droite au Canada, les jeunes pousses canadiennes sont sous-financées comparativement aux jeunes entreprises américaines. L’an dernier, les investisseurs en capital de risque ont investi au Canada 3,2 milliards de dollars, contre 69,1 milliards aux États-Unis![5] Nous risquons alors d'assister à l'exode des cerveaux formés un peu partout au pays qui traverseront la frontière pour enregistrer leurs entreprises dans l’état du Delaware.
Finalement, nous nous en doutons, mais la concurrence en matière d'IA vient principalement des États-Unis et de la Chine. Le gouvernement chinois veut tellement sa part du gâteau qu’il injectera des centaines de milliards de yens dans les technologies et les entreprises spécialisées en intelligence artificielle. Au fond, peu importe qui sera le plus rapide, l'important c'est de créer des applications avec des données qui pensent aussi bien sinon mieux que les humains. Si nous réussissons cet exploit, nous aurons réussi.
L'IA n'est qu'un sous-genre de l’application concrète de l’analyse de données massives. Une entreprise qui se lance dans l’IA, un domaine assez avancé, se doit de maîtriser les domaines analytiques de base : l’intelligence d’affaires, l’analyse prédictive et l'apprentissage automatique, le traitement en temps réel, la gouvernance de données, etc. Bien sûr, cela ne s'applique pas nécessairement aux entreprises qui souhaitent intégrer des produits existants à leurs processus, mais il est tout de même important de bien maîtriser les bases. D’ailleurs, ça serait assez farfelu d’engager un docteur en intelligence artificielle alors qu’on n’a pas poussé les limites de l’intelligence d’affaires!
Ce qui se passe avec l’intelligence artificielle est exactement ce qui s’est passé avec le Big Data; les grandes entreprises se sont lancées tête première en se disant que si elles attendaient, les concurrents allaient les devancer et leur voler des parts de marché. Il est certain que cela est préférable à l’inertie, mais avouons que c’est parfois ridicule de voir une entreprise déclarer dans les médias qu’elle s’attaque à l’intelligence artificielle alors que tous les clients détestent leur application mobile et que la qualité du service à la clientèle est douteuse.
NOVIPRO vise à accompagner ses clients dans leurs transformations numériques. Notre objectif est de bien comprendre vos contextes d’affaires et vos processus afin de vous recommander les bonnes solutions, et même dans certains cas de mettre en pratique ces recommandations. Si vous vous intéressez à une technologie ou si vous souhaitez revoir vos processus d’affaires, n’hésitez pas à communiquer avec nous!
Sources :
http://www.investquebec.com/international/fr/secteurs-activite-economique/technologies-information-communications/Montreal-centre-mondial-de-l-intelligence-artificielle.html
https://www.cifar.ca/timeline/milestones/artificial-intelligence-robotics-society-launches/
http://td.mediaroom.com/2017-10-04-TD-announces-conversational-AI-platform-agreement-with-Kasisto
https://td.mediaroom.com/2018-01-09-TD-Bank-Group-acquires-artificial-intelligence-innovator-Layer-6
http://www.rbc.com/nouvelles/news/2017/20171121-borealis.html
http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1059012/intelligence-artificielle-risque-developpement-local-montreal
https://dmz.ryerson.ca/artificial-intelligence/
https://www.technologyreview.com/s/609038/chinas-ai-awakening/